pas de titre

Avec une régularité métronomique, Antoine de Saint-Exupéry refait parler de lui. De nombreux articles fleurissent encore et encore autour du pilote et de sa mystérieuse disparition à bord du F-5B 42-68223 près des îles du Frioul au large de Marseille.

Oui, mystérieuse disparition, j’insiste.

Retour de mission d’Antoine de Saint-Exupéry à bord du F-5A 80 le 26 mai 1944 à Alghéro en Sardaigne. Au premier plan, son chef et ami, René Gavoille. Au second plan à droite, le Lightning dont on ne voit que la queue est le 223 sur lequel l’écrivain a disparu quelques semaines plus tard. (Photo : John Philipps)

En dépit des révélations fracassantes d’un ancien pilote de la Luftwaffe, Horst Rippert, en 2008, s’accusant alors d’être l’homme qui a descendu l’avion de reconnaissance ce 31 juillet 1944, la disparition de St-Ex demeure un mystère.

Il faut dire que les éléments de preuve apportés par ce pilote étaient bien ténus. Et lui même avait livré plusieurs versions : « Vous pouvez arrêter de chercher c’est moi qui ai abattu Saint-Exupéry » déclarait-il à l’historien à leur premier contact.

Pourtant, la presse Suisse relatait cette autre version :  » Je n’ai jamais dit que je l’avais fait, car je n’en ai jamais eu la confirmation. On m’a dit bien plus tard que Saint-Exupéry avait disparu, et que ce pourrait être l’avion que j’avais abattu. «  (Le Temps, 17 mars 2008)    

Un livre fut donc publié à grand fracas de communication en mars 2008, avec un titre cinglant « Saint-Exupéry, l’ultime secret » qui s’est révélé être une simple biographie de plus sur l’aviateur – pas forcément la plus mauvaise non plus d’ailleurs – mais où « l’ultime secret », celui, bien sûr, de sa disparition, prenait bien… 6 ou 7 lignes !

Suis-je le seul à être resté sur ma faim ?

Carnet de vol égarés, revendication de la victoire introuvable (Or on retrouve bien la revendication d’Horst Rippert contre un B-24 en juin et une contre un Spitfire en août, mais rien entre les deux), témoignage tardif, farci de contradictions en fonction des reprises. En voici un exemple : « Horst Rippert avait aperçu de son Messerschmitt ce qu’il pense être aujourd’hui l’appareil de « Saint-Ex », le 31 juillet 1944, vers 14h30, peu après Toulon et près de Marseille ». (L’Express, 17 mars 2008)

Horst Rippert s’est accusé d’avoir descendu Saint-Ex sans en apporter la moindre preuve.

Le F-5B avait décollé entre 8h30 et 9h00 pour une mission d’un peu plus de deux heures. « Il n’était pas rentré à 13 heures » puis « A 14h30 il n’y avait plus d’espoir qu’il fut encore en vol  » raconte de son côté René Gavoille. Aucune chance, donc, qu’un combat se déroulant à cette heure vers Marseille puisse impliquer un avion qui, à cette heure, avait déjà consommé tout son carburant.

L’itinéraire probable de la mission du 31 juillet. La distance en ligne droite entre Borgo et Chambery est d’environ 430 km soit une bonne heure de vol pour un Lightning.

Sans toutefois balayer définitivement l’hypothèse de l’interception, tout ça ressemblait bien à une opération de communication destinée à vendre du papier. D’ailleurs, lors de la conférence de presse des auteurs organisée au Musée de l’Air à l’époque, l’historien et co-auteur du livre nous avait bien expliqué qu’il était au début du fil de laine et qu’il comptait bien tirer la pelote du mystère jusqu’au bout. Nous sommes en 2021 et nous n’avons plus de nouvelles. Le pilote allemand est depuis décédé. Fin de l’histoire ?

Pas tellement puisque désormais, régulièrement, on nous assène comme une vérité, que l’auteur du Petit Prince a été « vraisemblablement été abattu par un pilote allemand. »

S’agit-il de la thèse de 2008 ?  Du reliquat de l’affaire Eichele, hypothèse issue d’un journal fantaisiste allemand des années 80 et reprise ensuite par le magazine historique Icare lui offrant ainsi, malheureusement, une légitimité indue ? Il est rare que les rédacteurs le précisent.

Et bien non !

Le combat aérien reste une hypothèse possible, mais bien d’autres explications le sont tout autant. l’accident ou la panne ne peuvent être exclus non plus, de même que l’hypoxie fatale. Saint-Ex était un gros fumeur, ses besoin en oxygène étaient donc largement supérieurs à la moyenne ce qui lui avait déjà joué des tours lors d’une mission précédente. Chasse ennemie ou non, les raisons de mourir à bord d’un avion de combat dans les années 40 étaient de toute façon nombreuses.

La vidéo d’Horst Rippert relatant son combat du 31 juillet 1944 dans une vidéo diffusée au musée de l’Air le 22 mars 2008 à l’occasion de la parution du livre « l’ultime secret. »

D’ailleurs, si elle était grandement incomplète, l’épave identifiée comme étant celle du F-5B 223 semble n’avoir révélé aucun impact de balle. Ce n’est pas une preuve en soi, mais c’est un élément qui me semble important.

D’autant plus que le principal mystère n’est pas tant la raison de la chute de son avion que la localisation de l’épave. Si celle-ci semble désormais avoir été correctement identifiée – ce qui n’avait rien d’évident au départ si on se souvient des circonstances de sa découverte et des débats qui ont suivi – le fait de la retrouver près de Marseille reste un sujet d’étonnement. Il suffit de regarder une carte et se souvenir que la mission du jour était une reconnaissance dans la région de Chambéry. Que faisait-il du côté des Calanques ? Du tourisme ?

D’autres auteurs ont également évoqué le suicide. C’est une hypothèse qu’on peut écarter à moins d’imaginer Saint Exupéry, survivant de l’aviation postale française, trahir volontairement ses compagnons d’escadrille et ses compatriotes en se sacrifiant à bord d’un avion qu’il savait également très précieux, à quelques semaines du Débarquement de Provence, alors même que les troupes alliées marchaient sur le sol de son pays – même si le sort de la bataille de Normandie n’était pas encore scellé. Même si son moral n’était pas forcément au beau fixe, comme le montrent ses dernières lettres, quel combattant n’a pas aussi des moments difficiles ?

John Philipps, photographe pour Life Magazine et Antoine de Saint-Exupéry se détendent sous leur tente. Photo : John Philipps.

Le mystère de la disparition demeure donc… Non, Saint-Ex n’a pas été « vraisemblablement abattu par un pilote Allemand », il est « disparu en mission » comme des milliers d’autres pilotes et de combattants à cette époque-là, ce qui ne le rend pas moins estimable pour autant.

La seule certitude, depuis le 31 juillet 1944, est indiquée sur le journal de marche du GR2/33 : non rentré.

Article publié initialement le 31 juillet 2015, repris le 29 juin 2021.

Brouillon Canadair

A la suite de ma publication et de mon infographie autour des « bombardiers d’eau », un lecteur a posté une remarque sur la page facebook du blog :Effectivement, le CL-415 n’est pas, à proprement parler, un avion « Canadair » puisque la conception et toute la production (1995-2015) ont été le fait du groupe aéronautique Bombardier qui avait racheté Canadair en 1986, le CL-215 à moteurs à pistons était alors en production, et a revendu les certificats de type de ces avions au groupe Longview en 2016 alors que le dernier Bombardier 415 à turbines était sorti des chaînes de Cartierville l’année précédente.

Le CL-415 est-il vraiment un « Canadair » ? Vaste question finalement !

Donc, oui, le CL-415 est clairement un Bombardier, personne n’a aucun doute là-dessus.

Pourtant, les raisons pour lesquelles il n’est pas aberrant d’appeler ces avions « Canadair » sont… innombrables.

Si on en croit la première page du manuel de vol du CL-415 (version 1999), la dénomination Canadair 415 a même existé !

Commençons par le plus simple. La dénomination CL-415 n’est, ni plus ni moins, qu’une dénomination commerciale. Néanmoins elle s’appuie sur  la classification historique qui a eu cours tout au long de l’histoire de Canadair, du CL-0, des C-47 remis au standard civil qui furent les premiers avions sur lequel la jeune entreprise nationale canadienne œuvra à la fin de la 2e Guerre Mondiale, au CL-700 Global Express.

Les deux lettres CL qui servaient de préfixes à tous les modèles et projets de l’entreprise signifient Canadair Limited, la raison sociale et la forme juridique précise de l’entreprise.

Bien sûr, pendant un temps, le groupe qui a racheté Canadair a commercialisé ensuite l’appareil sous la dénomination commerciale Bombardier 415. C’était une tentative de renouveler et moderniser les références, une opération assez logique et courante dans les milieux industriels. Néanmoins le Bombardier 415 continuait à voler sous un certificat de type spécifiant sa dénomination exacte : CL-215-6B11. Là encore le lien avec Canadair est on ne peut plus clair d’autant plus qu’on constate ici que la version à turbines n’est simplement qu’une évolution technique de son prédécesseur à moteurs à pistons.

Cl-215-1A10 espagnol. Le CL-215 d’origine… mis à part le nez radar !

Cette filiation directe s’explique ainsi : Le premier bombardier d’eau Canadair, le CL-215, volait sous un certificat de type spécifiant sa dénomination précise : CL-215-1A10. L’appareil était équipé de deux moteurs Pratt & Whitney R-2800 (même moteurs que les P-47 Thunderbolt ou les F4U Corsair de la Seconde Guerre mondiale). En 1991, les ingénieurs de Bombardier développèrent une option de rétrofit avec des turbines Pratt & Whitney PW123AF. La modification était si substantielle que la nouvelle version fut certifiée comme CL-215-6B11 mais commercialisée sous le nom, plus simple à retenir, de CL-215T.

Pour reconnaître un CL-215T d’un CL-415 n’est pas aisé. Deux grandes portes à eau plutôt que quatre petite est un des signes les plus évidents. Le Grupo 43 de l’armée de l’Air espagnole facilite aussi la tâche : quand le numéro de nez débute par un 1, plutôt qu’un 2, c’est un CL-215T !

Un certain nombre d’appareils des lots de production les plus récents furent ainsi doté de la nouvelle motorisation après avoir volé quelques temps avec les antiques moteurs à pistons. Mais, et c’est là une originalité assez remarquable, les deux derniers CL-215 produits, destinés à l’Espagne, furent directement construits avec les turbines et devinrent CL-215T/CL-215-6B11 sans jamais avoir été CL-215-1A10.

La production bascula ensuite sur la nouvelle évolution du CL-215-6B11, dont le client de lancement était la Sécurité Civile française, commercialisée en tant que CL-415 et qui différait du CL-215T par un nouvel aménagement du cockpit, une avionique sensiblement plus moderne, une capacité d’emport d’eau portée à 6200 litres dans deux soutes compartimentées et quatre portes de largages au lieu de 5500 litres et deux portes sur la version initiale.

Le tout premier CL-415 (CL-215-6B11), est en service en France depuis 1996.

La filiation du CL-415, du Bombardier 415, bref du CL-215-6B11, avec Canadair est donc directe. D’autant plus que les deux nouvelles versions apparaissent sur le même certificat de type que le CL-215-1A10 confirmant qu’elles ne sont que des variantes, de nouvelles versions du type original conçu et construit par Canadair Ltd.

La feuille de données du certificat de type de la FAA (version 2010) est particulièrement claire sur la filiation de cette famille d’appareils.

Cette filiation est tellement évidente que le groupe Longview qui a racheté les certificats de type de ces avions en 2017 envisage d’offrir un successeur à ces avions au marché restreint mais dont le potentiel ne peut être négligé. L’avion sera allégé et verra sa capacité en eau augmentée. L’objectif avoué est de 7000 litres mais… c’est un objectif. Il sera également doté d’une nouvelle avionique, des écrans Collins ProLine Fusion. Il conservera néanmoins les PW-123AF et sera d’une conception proche du CL-415.

Il continuera, vraisemblablement, à voler sous le même certificat de type et sera donc aussi un CL-215-6B11. Le groupe Longview ne cache pas son intérêt à relancer les marques prestigieuses qui forment désormais son catalogue et a confié la production des Dash 8, également racheté plus récemment à Bombardier, à une filiale baptisée De Havilland of Canada… Juste retour des choses ! Le nom commercial de la nouvelle version du nouvel appareil sera donc Canadair 515 ou Canadair CL-515 !

Canadair 515 ou CL-515 ? Peu importe, ça sera un autre CL-215-6B11 ! (Infographie : Viking Air)

Ces avions sont, étaient et ne cesseront donc jamais d’être des Canadair ! D’ailleurs, il suffit de se promener sur la nouvelle base de Nîmes. De nombreux pilotes arborent fièrement leur badge « Pilote de Canadair »…

A l’occasion de la sortie du film Planes 2 en 2014, le comédien Frédéric Testot, qui doublait Dusty, avait bénéficié d’une visite de la BASC guidé par Daniel Manzo, pilote de…  mais si, c’est marqué dessus ! (Photo : MI/DICOM/Francis Pellier)

d’ailleurs, ils volent au sein du secteur « Canadair » à bord d’avions qui sont des… c’est marqué dessus !

C’est marqué clairement sur la gouverne de direction, les CL-415 français sont des Canadair !

Et cette façon d’appeler cet avion n’est pas qu’une habitude franco-française…

Chez les Hellènes aussi, le 415 est un Canadair !

J’avais pris le temps de répondre précisément sur facebook à notre lecteur mais bien sûr, sans détailler autant que pour cet article. Il faut croire que cette première réponse a été jugée insuffisante que notre lecteur a prestement effacé son message, ce que je déplore. Néanmoins je continue de considérer cette remarque comme totalement fondée et véritablement pertinente. Ceci méritait d’être effectivement développé.

retardant brouillon

Dans les guerres estivales menées par des aviateurs contre les feux de forêts, le choix des armes influe lourdement sur les méthodes de travail, les tactiques utilisées. Si l’eau reste l’outil principal de ce combat, la chimie a largement contribué à augmenter son efficacité. Les retardant, dits long terme, tiennent une place à part dans les arsenaux des pompiers du ciel et méritent d’être expliqués.

Le retardant est l’arme de prédilection des Tanker.  (Photo : Wes Schultz/Cal Fire)

Il existe deux types principaux de retardants :

Les retardants courts termes sont des agents tensio-actifs (largages « mouillants ») ou émulseurs (largages « moussants ») injectés dans les largages des aéronefs capables de puiser l’eau dans les espaces naturel, donc « écopeurs » (Canadair ou hélicoptères bombardiers d’eau) et qui améliorent l’action de l’eau mais dont l’effet n’est pas durable.

Le retardant long terme est l’outil de prédilection des « Tankers ». Puisque ces avions terrestres ne peuvent écoper, ils doivent remplir leurs soutes au sol, de retour à un aérodrome disposant de l’équipement nécessaire. Plutôt que de les remplir d’eau, autant en profiter pour utiliser des produits qui ne se trouvent pas à l’état naturel, pensés et conçus pour mieux combattre les incendies.

Pour le remplissage des aéronefs au retardant, il est nécessaire de disposer des installations adaptées. Ici le « Pélicandrome » de Marignane.

Deux des principaux retardants utilisés en Europe et aux USA sont apparus en 1959 : le Phos-Chek® à base de phosphate d’ammonium et le Fire Trol® utilisant le sulfate d’ammonium comme principe actif. Les compositions de ces produits ont ensuite singulièrement évolué et ils ont été rejoints sur ce marché par des solutions concurrentes élaborées par d’autres entreprises.

Le Fire Trol 931 utilisé en France est aujourd’hui composé de polyphosphates d’ammonium, d’argile, d’inhibiteur de corrosion et de colorants.Il s’apparente donc à un engrais dont la plupart des composants sont biodégradables.

Le retardant est chimiquement neutre, il n’est ni toxique pour les hommes ni pour la faune ni pour la flore mais reste un produit irritant qui ne doit pas être ingéré et doit faire l’objet de protection de base pour les personnels à son contact direct. Il est fortement déconseillé, notamment, d’en faire usage à proximité d’un cours d’eau. Aux USA, certains parcs nationaux, pour préserver à tout prix le caractère naturellement sauvage et intact de leurs territoires en interdisent l’usage même lors des incendies majeurs ce qui nuit fortement à l’efficacité des moyens de lutte dans ces espaces effectivement précieux.

En France la compatibilité des produits proposés par les industriels du secteur chimique est validée notamment par le CEREN (Centre d’Essais et de Recherche de l’ENtente, liée à la Sécurité Civile) situé à Valabres près d’Aix en Provence. Ces produits doivent répondre aux normes sanitaires européennes.

Remplissage des cuves de retardant dans les mélangeurs d’une base de Californie. La batte de Baseball sert à « détasser » la poudre qui sera mélangée à l’eau. (Photo : NIFC)

Le retardant est livré sous forme de poudre ou de pré-mélange qui doit ensuite être mélangés à l’eau pour obtenir la concentration idéale (20% de retardant, 80% d’eau pour le Fire Trol 931) avant d’être chargé dans les avions. Le produit ainsi obtenu a une densité supérieure à celle de l’eau, une donnée essentielle quand il s’agit de remplir les soutes des avions.

Ainsi la soute du Dash 8 est limitée à 10 tonnes. Même si elle peut contenir 10 000 litres, le chargement maximum de l’avion sera de 9000 litres de retardant. Avec une densité idéale de 1,1 kg/litre la masse emportée sera effectivement de 9 900 kg.

Préparation du retardant à partir de pré-mélange lors d’une activation des C-130 MAFFS dans les années 2000. (Photo : USAF)

Ces produits agissent sur la pyrolyse, le mécanisme de dégradation chimique des éléments qui en fracturant les liaisons atomiques permet l’apparition des flammes. En recouvrant les végétaux, le principe actif du produit retarde la déshydratation et la décomposition de la cellulose qui constitue l’essentiel de la structure des végétaux, dont le bois. Alors que la cellulose se décompose à 150°C et brûle, le retardant offre aux végétaux une protection suffisante pour qu’il soit nécessaire d’atteindre des températures beaucoup plus élevées (certaines sources avancent la température de 700°C) avant que cette décomposition chimique n’intervienne.

Si le retardant n’est pas exposé au feu, il conserve ses propriétés même si l’eau qui compose de 80 à 90% du produit déversé s’est évaporée. Ses propriétés se dégradent ensuite progressivement et en fonction de son exposition au vent et à la pluie.

En quelques largages sur les flancs et en tête des flammes, le Gibraltar Fire, en octobre 2015, a été circonscrit à une trentaine d’hectares. L’intervention a été massive car ce feu aurait pu menacer les villes de Santa Barbara et Montecito. (Photo : Cal Fire)

Outre sa nature et sa composition, l’efficacité du retardant repose aussi sur son homogénéité et sa répartition au sol. Sa couleur rouge, généralement en raison de la présence d’oxyde de fer, permet aux équipages de repérer simplement les largages précédents et d’ajuster le leur en conséquence. Des systèmes existent désormais pour repérer ces positions par GPS afin que les largages suivants soient parfaitement positionnés pour ne laisser aucun trou dans la barrière.

Le retardant est également bien plus polyvalent que l’eau, même additionnée de retardants courts-termes, dans son usage : Largué directement sur les flammes il aura un effet équivalent voire supérieur à celui de l’eau en raison de sa masse et de sa viscosité supérieure. Largué en amont du front de flammes ou sur les flancs, il servira de barrière pour stopper ou canaliser le développement de l’incendie, largué très en amont du front, il peut aussi servir de barrière d’appui pour un brûlage dirigé.

La torche que porte ce forestier américain ne laisse aucun doute sur sa mission du jour, établir un contre-feu. le P-3 Orion largue son retardant pour établir la barrière d’appui qui va protéger la végétation de l’autre côté. (Photo : NIFC)

Si on écoute les pilotes volants aux USA, ils expliquent que le retardant gagne à être largué d’assez haut. Les consignes officielles sont d’ailleurs très claire à ce sujet : « le retardant doit arriver sur le sol avec le moins de mouvement horizontal possible » (1). Il doit donc « pleuvoir » sur l’objectif. Il s’agit d’épandre le produit et non pas de le larguer dans la plupart des cas. Il ne faut pas oublier que le travail des Tanker lourds est souvent d’établir les barrières en amont du front de flammes ou sur ses flancs. Néanmoins, les largages directs existent et sont régulièrement pratiqués mais là encore, les hauteurs de largages des avions US restent visiblement supérieures à celle des largages au retardant des avions français.

Aux USA, les Tankers larguent le retardant depuis une hauteur parfois élevée pour que le produit arrive au sol avec le moins de mouvement horizontal possible. (Photo : 10 Tanker)

Le retardant largué trop bas va avoir une composante horizontale plus forte et en théorie ne recouvrir d’un pan de la végétation à protéger. Un largage plus haut aura de son côté le désavantage de ne pas pénétrer le couvert végétal si celui-ci est très dense au niveau de la canopée.

Au regard de sa polyvalence, le retardant n’a finalement qu’un défaut : il est couteux. En 2014, le prix du retardant déversé sur les feux aux USA était de 50 cents le litre. En France, pour 2018 2,4 millions d’euros d’autorisations d’engagement et de crédits de paiement ont été concédés pour l’achat de ces produits en prenant pour base la moyenne de la consommation sur la décennie écoulée. (2)

Livraison des sacs de retardant. L’usage de ces produits exige effectivement une certaine logistique. (Photo : RAAF)

D’autres coûts sont à prendre en compte comme celui des installations spécialisées sur les aérodromes, qui peuvent être fixes ou mobiles, et le coût du personnel en charge de les entretenir et de les activer.

Installation temporaire de production de retardant en soutien des opérations anti-incendie en Australie. (Photo : CFA Discrict 13)

En France, l’utilisation du retardant remonte à l’époque des Catalina où le mélange était effectué en vol, après écopage, par le mécanicien navigant. Les PBY-6A, dont le système d’écopage fut rapidement considéré comme moins sûr que celui des PBY-5A furent même rapidement réservés au remplissage au sol, une solution opérationnelle qui donna satisfaction.

La Protection Civile a utilisé du retardant depuis ses Catalina, les PBY-6A en particulier, dès les années 60. (Photo : DR, Coll. F. Marsaly)

L’arrivée des DC-6 et des Tracker n’a fait que confirmer la complémentarité des attaques directe à l’eau et des frappes massives au retardant ainsi que du GAAr, Guet Aérien Armé, également effectués au retardant. Fokker 27, C-130 de location et désormais les Q400MR ont assuré depuis ces missions d’appui massif au retardant en complément des norias assurées par les Canadair. Une expérience sur une période aussi longue ne peut pas tenir sans avoir fait véritablement ses preuve. Il devient assez courant, d’ailleurs, de voir des photos de CL-415 français, affectés à des missions GAAr, larguer au retardant.

La France utilise du retardant depuis les années 60 et a évalué son premier Tanker en 1978, un DC-6. Les Q400MR d’aujourd’hui sont dans la continuité de cette histoire. (Photo : Alexandre Dubath)

Preuve, si l’en est, que le produit a un intérêt opérationnel indéniable, il fait partie de l’arsenal que les équipes des UIISC de la Sécurité Civile peuvent épandre avec leurs lances pour peu qu’un véhicule UFR (Unité de Fabrication du Retardant) soit disponible.

L’usage du retardant, systématique aux USA et extrêmement fréquent en France répond à des besoins spécifiques. Son efficacité à moyen ou long terme apporte une efficacité différente aux largages des aéronefs. Il est indissociable de l’usage des Tankers même si les écopeurs peuvent aussi en recevoir sans contre-indication. Moins médiatisé en France que les norias des Canadair, il constitue cependant une arme de premier choix, le budget qui lui est consacré chaque année en atteste. Les tâches écarlates laissées par les avions de lutte anti-incendie sur les forêts démontrent qu’il s’agit bien d’une arme de toute première importance dans ce combat.

(1) Interagency Aerial Supervision Guide (IASG) 2011, Chapter 9 p101 – Tactical Aircraft Operations :  » It is important for the retardant to “rain” vertically with little or no forward movement. »
(2) Avis sur le projet de loi de finances pour 2018 ; Sénat, 23 novembre 2017