Dans les guerres estivales menées par des aviateurs contre les feux de forêts, le choix des armes influe lourdement sur les méthodes de travail, les tactiques utilisées. Si l’eau reste l’outil principal de ce combat, la chimie a largement contribué à augmenter son efficacité. Les retardant, dits long terme, tiennent une place à part dans les arsenaux des pompiers du ciel et méritent d’être expliqués.
Il existe deux types principaux de retardants :
Les retardants courts termes sont des agents tensio-actifs (largages « mouillants ») ou émulseurs (largages « moussants ») injectés dans les largages des aéronefs capables de puiser l’eau dans les espaces naturel, donc « écopeurs » (Canadair ou hélicoptères bombardiers d’eau) et qui améliorent l’action de l’eau mais dont l’effet n’est pas durable.
Le retardant long terme est l’outil de prédilection des « Tankers ». Puisque ces avions terrestres ne peuvent écoper, ils doivent remplir leurs soutes au sol, de retour à un aérodrome disposant de l’équipement nécessaire. Plutôt que de les remplir d’eau, autant en profiter pour utiliser des produits qui ne se trouvent pas à l’état naturel, pensés et conçus pour mieux combattre les incendies.
Pour le remplissage des aéronefs au retardant, il est nécessaire de disposer des installations adaptées. Ici le « Pélicandrome » de Marignane.
Deux des principaux retardants utilisés en Europe et aux USA sont apparus en 1959 : le Phos-Chek® à base de phosphate d’ammonium et le Fire Trol® utilisant le sulfate d’ammonium comme principe actif. Les compositions de ces produits ont ensuite singulièrement évolué et ils ont été rejoints sur ce marché par des solutions concurrentes élaborées par d’autres entreprises.
Le Fire Trol 931 utilisé en France est aujourd’hui composé de polyphosphates d’ammonium, d’argile, d’inhibiteur de corrosion et de colorants.Il s’apparente donc à un engrais dont la plupart des composants sont biodégradables.
Le retardant est chimiquement neutre, il n’est ni toxique pour les hommes ni pour la faune ni pour la flore mais reste un produit irritant qui ne doit pas être ingéré et doit faire l’objet de protection de base pour les personnels à son contact direct. Il est fortement déconseillé, notamment, d’en faire usage à proximité d’un cours d’eau. Aux USA, certains parcs nationaux, pour préserver à tout prix le caractère naturellement sauvage et intact de leurs territoires en interdisent l’usage même lors des incendies majeurs ce qui nuit fortement à l’efficacité des moyens de lutte dans ces espaces effectivement précieux.
En France la compatibilité des produits proposés par les industriels du secteur chimique est validée notamment par le CEREN (Centre d’Essais et de Recherche de l’ENtente, liée à la Sécurité Civile) situé à Valabres près d’Aix en Provence. Ces produits doivent répondre aux normes sanitaires européennes.

Remplissage des cuves de retardant dans les mélangeurs d’une base de Californie. La batte de Baseball sert à « détasser » la poudre qui sera mélangée à l’eau. (Photo : NIFC)
Le retardant est livré sous forme de poudre ou de pré-mélange qui doit ensuite être mélangés à l’eau pour obtenir la concentration idéale (20% de retardant, 80% d’eau pour le Fire Trol 931) avant d’être chargé dans les avions. Le produit ainsi obtenu a une densité supérieure à celle de l’eau, une donnée essentielle quand il s’agit de remplir les soutes des avions.
Ainsi la soute du Dash 8 est limitée à 10 tonnes. Même si elle peut contenir 10 000 litres, le chargement maximum de l’avion sera de 9000 litres de retardant. Avec une densité idéale de 1,1 kg/litre la masse emportée sera effectivement de 9 900 kg.

Préparation du retardant à partir de pré-mélange lors d’une activation des C-130 MAFFS dans les années 2000. (Photo : USAF)
Ces produits agissent sur la pyrolyse, le mécanisme de dégradation chimique des éléments qui en fracturant les liaisons atomiques permet l’apparition des flammes. En recouvrant les végétaux, le principe actif du produit retarde la déshydratation et la décomposition de la cellulose qui constitue l’essentiel de la structure des végétaux, dont le bois. Alors que la cellulose se décompose à 150°C et brûle, le retardant offre aux végétaux une protection suffisante pour qu’il soit nécessaire d’atteindre des températures beaucoup plus élevées (certaines sources avancent la température de 700°C) avant que cette décomposition chimique n’intervienne.
Si le retardant n’est pas exposé au feu, il conserve ses propriétés même si l’eau qui compose de 80 à 90% du produit déversé s’est évaporée. Ses propriétés se dégradent ensuite progressivement et en fonction de son exposition au vent et à la pluie.
Outre sa nature et sa composition, l’efficacité du retardant repose aussi sur son homogénéité et sa répartition au sol. Sa couleur rouge, généralement en raison de la présence d’oxyde de fer, permet aux équipages de repérer simplement les largages précédents et d’ajuster le leur en conséquence. Des systèmes existent désormais pour repérer ces positions par GPS afin que les largages suivants soient parfaitement positionnés pour ne laisser aucun trou dans la barrière.
Le retardant largué trop bas va avoir une composante horizontale plus forte et en théorie ne recouvrir d’un pan de la végétation à protéger. Un largage plus haut aura de son côté le désavantage de ne pas pénétrer le couvert végétal si celui-ci est très dense au niveau de la canopée.
Au regard de sa polyvalence, le retardant n’a finalement qu’un défaut : il est couteux. En 2014, le prix du retardant déversé sur les feux aux USA était de 50 cents le litre. En France, pour 2018 2,4 millions d’euros d’autorisations d’engagement et de crédits de paiement ont été concédés pour l’achat de ces produits en prenant pour base la moyenne de la consommation sur la décennie écoulée. (2)
Preuve, si l’en est, que le produit a un intérêt opérationnel indéniable, il fait partie de l’arsenal que les équipes des UIISC de la Sécurité Civile peuvent épandre avec leurs lances pour peu qu’un véhicule UFR (Unité de Fabrication du Retardant) soit disponible.
L’usage du retardant, systématique aux USA et extrêmement fréquent en France répond à des besoins spécifiques. Son efficacité à moyen ou long terme apporte une efficacité différente aux largages des aéronefs. Il est indissociable de l’usage des Tankers même si les écopeurs peuvent aussi en recevoir sans contre-indication. Moins médiatisé en France que les norias des Canadair, il constitue cependant une arme de premier choix, le budget qui lui est consacré chaque année en atteste. Les tâches écarlates laissées par les avions de lutte anti-incendie sur les forêts démontrent qu’il s’agit bien d’une arme de toute première importance dans ce combat.







